
Martin Levac et la Caisse du Réseau de la santé au temps du confinement
François Pratte
Un très grand nombre de membres de la Caisse Desjardins du Réseau de la santé — médecins, infirmières ou préposés aux bénéficiaires dans les hôpitaux et CHSLD, par exemple — ont été directement engagés dans l’immense bataille collective pour limiter les effets dévastateurs de la pandémie de la Covid-19. Martin Levac, le directeur général de la Caisse, ainsi que ses équipes à travers le Québec, s’est donc retrouvé, du jour au lendemain, au cœur de la tempête. Nous nous sommes entretenus avec lui le 24 avril dernier. Il était alors à son bureau à domicile, devenu son poste de commandement.
Le 12 mars 2020, le premier ministre du Québec, François Legault, a annoncé les premières dispositions pour ralentir la propagation du coronavirus. On connaît la suite : fermeture de commerces et d’entreprises ; « distanciation sociale » ; télétravail pour les uns, arrêt complet de travail pour les autres.
La Caisse du Réseau de la santé étant provinciale, Martin Levac et son équipe de gestionnaires ont dû réorganiser le travail de tous les employés en conséquence. Le premier geste important a été de fermer la majorité des vingt centres de services, d’envoyer la quasi-totalité de ses employés en télétravail et d’organiser toute la logistique. Seul le siège social, à Montréal, est demeuré ouvert, mais avec un strict minimum d’employés, les services bancaires étant jugés essentiels par le gouvernement. Cela dit, le télétravail était déjà bien intégré au sein du personnel depuis plusieurs années, en raison du statut de la Caisse qui dessert plusieurs territoires. Selon Martin Levac, il fallait maintenant voir au bon fonctionnement de l’équipement et s’assurer que tous, en situation de télétravail, étaient à l’aise avec les applications fournies.
« Comme plusieurs de nos membres ont un horaire de travail atypique, nous dit-il, nos employés sont appelés à les rencontrer à des heures qui sont, elles aussi, atypiques. Par exemple, avant le confinement, on pouvait avoir un rendez-vous avec une infirmière à sept heures le matin. Ou encore le samedi matin chez un médecin. On a même déjà fait des séances de nuit, bien que très rares. Nos soixante-cinq employés sont très flexibles en termes d’horaires. Ils doivent s’adapter à notre clientèle. »
La Caisse regroupant des membres du même secteur, ses employés connaissent particulièrement bien leur réalité. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces des caisses de groupes en général. Parfois, les membres s’adressent même à leurs conseillers à la Caisse pour obtenir des réponses à des questions qu’ils pourraient poser aux organisations qui les embauchent. Martin Levac : « Ils nous demandent de les éclairer, par exemple, sur leurs fonds de pension, sur les assurances. On forme donc nos employés pour qu’ils puissent donner les bonnes réponses à nos membres. On doit se coller sur nos gens, on doit connaître leur réalité syndicale et la réalité terrain, savoir ce qui se passe au niveau de l’hôpital. Certains sont syndiqués et travaillent dans le secteur public, d’autres œuvrent dans le privé, d’autres sont des travailleurs autonomes et même des entrepreneurs en étant propriétaires de leur cabinet ou de leur clinique. Ils n’ont pas tous le même salaire ou les mêmes revenus, et nous en tenons compte dans nos approches. C’est sûr que cette connaissance-là doit paraître dans nos propositions et dans nos façons de les accompagner. Combien coûte une chaise de dentiste ? Nos employés le savent. »
Voici un compte rendu de l’entrevue qu’il nous a accordée. Les propos ont été condensés et édités pour plus de clarté.
Comment vous sentez-vous comme DG, depuis le début de la crise sanitaire, auprès de vos employés ?
Au début, je me demandais souvent comment je pourrais aider nos équipes. Aujourd’hui, mon utilité est dans la mobilisation. Nos gens doivent demeurer mobilisés même s’ils travaillent à la maison. Après quelques semaines de confinement, ils trouvent ça pesant, ils s’ennuient de leurs collègues. Il faut se rappeler qu’ils ont un profil relationnel ; dans leur travail, ils parlent tous les jours à plein de monde. Ils ont besoin d’avoir un contact physique de temps en temps. Nous avons donc établi un certain nombre d’actions pour maintenir la mobilisation au sein de notre personnel.
Vous avez des exemples ?
Dès le départ, on a mis en place des rencontres régulières par des canaux de communication comme les visioconférences. On en tenait déjà avant, mais elles étaient plus espacées. Maintenant, une rencontre virtuelle de type caucus est organisée trois fois par semaine. Chacune, obligatoire, dure en général de quinze à trente minutes. Les gens se connectent à travers la province, et on les informe des actualités ou directives reçues de Desjardins ou du gouvernement ; on répond aussi à leurs inquiétudes, et ainsi de suite. Nous avons aussi organisé une cellule de crise : tous les matins, très tôt, je me réunis, toujours par visioconférence, avec les gestionnaires de la Caisse. On fait alors le tour de l’actualité : y a-t-il des problématiques, des gens qui ont des symptômes de la Covid-19 ou qui sont en quarantaine ?
Vous avez donc établi un contact permanent, des repères quotidiens qui permettent à tous de fonctionner de manière relativement normale.
Oui, mais on se rend compte que les gens ont besoin d’un contact humain qui va au-delà de la relation professionnelle. Les gestionnaires ont donc organisé des lunchs et des 5 à 7 virtuels dans lesquels on ne parle pas nécessairement de travail. Ça fonctionne très bien. Les gestionnaires organisent les rencontres, les inscrivent dans les agendas des employés, et elles sont ouvertes à tous. Ensemble, ils parlent de leur quotidien ou de leurs inquiétudes, notamment en ce qui a trait à leurs enfants, ou se racontent des blagues… Si ça se passe à l’heure du lunch, le gestionnaire ouvre la plateforme Skype et tout le monde discute en mangeant. C’est très convivial. Ce soir, par exemple, ils sont invités à participer à un bingo virtuel organisé par le club social. Autre exemple : un gestionnaire a mis en place des séances de musculation virtuelles. Ces activités ne sont pas obligatoires, mais les trois quarts de nos employés y participent. On sent leur besoin de se connecter entre eux.
Heureusement, plusieurs des employés de la Caisse avaient déjà l’habitude du télétravail.
Oui, mais même si une journée par semaine, en télétravail, ça fait du bien de porter des jeans ou de s’habiller en « mou », ça vient à peser si on le fait tous les jours. On les incite donc à mettre leurs caméras en marche quand on fait des rencontres virtuelles. Ça les encourage à se coiffer, à se maquiller, à se raser, à se vêtir comme s’ils étaient au bureau. Ça fait du bien au moral.
Vos employés se présentent aux rendez-vous virtuels, mais entre ces rencontres, ils agissent en pleine autonomie. Vous ne contrôlez pas leur emploi du temps.
Nos employés doivent être autonomes et responsables. On ne gère pas des horaires, mais des résultats. Si des employés ne se pointent pas au travail, les membres se plaignent, et leurs collègues se plaignent parce que ce sont eux qui héritent de leurs tâches. Toutefois, on s’est aperçu assez rapidement que nos gens ne sont pas absents, mais qu’ils interrompent leur travail à certaines heures pour s’occuper de leurs enfants à la place de leurs conjoints et vice-versa. Ils reprennent leurs tâches le soir.
Vous vous êtes tous adaptés.
On est plus flexible, notamment en termes d’organisation. On sait bien qu’ils ne font pas toujours trente-cinq heures de travail toutes les semaines, et que certains se reprennent le samedi. La présence d’enfants autour des employés change complètement la dynamique, et nous le comprenons. Les premières semaines, plusieurs de nos employés ne se sentaient pas performants au travail, pas à la hauteur avec les enfants. On a donc établi des trucs avec eux pour que chacun se sente bien dans la situation actuelle. On leur a dit, par exemple : consacre le matin à tes enfants, et l’après-midi à Desjardins. Ils se sont sentis écoutés, rassurés, et ça a fait toute une différence.
Selon vous, la nouvelle organisation de la Caisse, dans le contexte de la pandémie, entraînera-t-elle un changement dans les relations de travail, les relations humaines, ou même dans les manières de travailler ?
À mon avis, c’est sûr que ça va changer des choses. Avant la pandémie, environ 10 % de nos employés effectuaient des rencontres virtuelles, un gros 50 %, des rencontres téléphoniques, et 40 %, des rencontres physiques. Aujourd’hui, avec l’absence de rencontres physiques, environ 60 % des rencontres se font de manière téléphonique, et de 30 % à 40 % de manière virtuelle. Ce que je sens, au sein de l’organisation, c’est que ça pourrait continuer ainsi, même après la pandémie. Les mesures exceptionnelles que Desjardins a mises en place, si elles demeurent, changeront l’organisation. Il y aura beaucoup moins de rencontres en personne qu’auparavant.
Avez-vous l’impression que la distanciation physique et le confinement ont permis, d’une certaine manière, de rapprocher vos employés, de resserrer leurs liens ?
Oui. En étant une caisse provinciale, on a toujours organisé des rencontres d’équipes formelles, axées uniquement sur le travail. Mais avant la pandémie, quand quelqu’un organisait un 5 à 7 virtuel, quatre ou cinq collègues se connectaient, pas plus. Aujourd’hui, le besoin de socialiser est tellement fort que les employés, peu importe où ils se trouvent dans la province, se connectent. Dans l’équipe de direction, on s’en réjouit. On voit là des gens qui racontent leur vie, et ça permet à tous les collègues de mieux se connaître sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan personnel, et je suis convaincu que ça va perdurer.
Depuis quelques minutes, nous parlons surtout des employés qui vivent le confinement, mais il y a aussi les membres de la Caisse, vos clients, qui doivent composer avec cette nouvelle réalité.
Absolument. On en a moins parlé, mais il y a eu une crise dans les marchés boursiers, avec une chute vertigineuse. Nos membres, en plus d’être inquiets pour leur santé physique parce qu’ils étaient en contact direct avec des malades atteints de la Covid-19, éprouvaient aussi de l’inquiétude sur leur santé financière. Cela nous a encouragés à nous adapter, entre autres sur le plan des heures de services. Il faut savoir que nos membres ont des horaires de travail atypiques : ils travaillent de nuit, de soir, de fin de semaine. C’est vrai que c’est notre lot au quotidien depuis toujours, mais depuis le début de la crise sanitaire, c’est particulièrement marqué.
Un grand nombre des membres de la Caisse du Réseau de la santé sont dans le feu de l’action, tandis que d’autres ont été obligés de limiter leurs interventions aux cas d’urgence.
En effet. Environ la moitié de notre clientèle est composée de professionnels qui n’avaient jamais imaginé, dans leur vie, que du jour au lendemain, ils se retrouveraient au chômage. On parle ici de dentistes et d’autres professionnels de la santé, tels les podiatres, qui ont un lien physique avec leurs patients, et qui ont dû suspendre leurs activités. Ces gens-là gagnent bien leur vie et leurs dépenses le reflètent bien. Ils ont des maisons en conséquence, et plusieurs possèdent des résidences secondaires à la campagne et des véhicules de luxe. Pour eux, cette fermeture soudaine et involontaire de leurs cabinets ou cliniques a été catastrophique. Leurs revenus sont tombés à zéro, mais ils devaient continuer à effectuer des paiements pour leurs locaux et d’autres frais fixes, qui sont généralement élevés. L’autre moitié des membres, comme vous le dites, se sont retrouvés, du jour au lendemain, à travailler beaucoup plus qu’avant. Ils n’ont pas eu de problèmes de revenus liés à la crise, mais plutôt des inquiétudes sur leur santé financière pour leur retraite.
Ils vous consultent beaucoup ?
Même si plusieurs de nos membres étaient réticents, avant la crise, à utiliser des applications comme Skype pour consulter leur conseiller, ils se sont rendu compte, par la force des choses, des avantages du virtuel. Ils peuvent effectuer la rencontre de n’importe où et ils n’ont pas besoin de se déplacer. Et rien ne les oblige à ouvrir leur caméra s’ils n’en ont pas envie. Le conseiller, de son côté, pourra l’ouvrir et lui présenter des documents. Ce qu’on vit présentement nous montre comment on pourra travailler dans le futur.
Vous tirez ce qu’il y a de mieux d’une situation qui n’était pas agréable au départ.
Oui, mais plusieurs ont trouvé ça difficile les premières semaines. Il y a eu des creux de vague. On entendait souvent : je suis débordé par mon travail, mes enfants me courent après, plein de gens me contactent en état de panique parce que les marchés boursiers plantent… Les différentes activités qu’on a mises en place, comme les 5 à 7 mentionnés précédemment, ont permis de faciliter la vie de nos employés. On travaille beaucoup, depuis quelque temps, sur la création de webinaires pour nos membres. Plusieurs sont prévus pour les prochaines semaines sur différents sujets. Nous nous adresserons à eux, mais aussi aux non-membres. Ça permettra à la Caisse de se faire connaître auprès du milieu de la santé et de faire valoir ses expertises. C’est très mobilisant pour des gens comme les planificateurs financiers, à qui on offre une tribune.
Utilisez-vous beaucoup les médias sociaux depuis le début de la pandémie ?
Oui. On se colle encore beaucoup plus à la réalité de nos membres avec les médias sociaux. Via Facebook, Instagram ou LinkedIn, on relaie des nouvelles encourageantes concernant nos travailleurs de la santé qui vivent la crise sanitaire directement sur le terrain. On a aussi des employés qui se filment pour créer des capsules d’information. Tout ça, ça mobilise nos gens et permet de traverser la crise dans les meilleures conditions.
Les prix SRS
Chaque printemps, pendant l’AGA, la Caisse du Réseau de la Santé remet les prix SRS (« Stars du Réseau de la santé »), accompagnés de bourses. Ils visent à reconnaître les meilleurs projets réalisés partout au Québec dans le milieu de la santé au cours de la dernière année. « Dans ce moment festif, nous dit Martin Levac, on souligne moins les personnes que les projets eux-mêmes, pour leur contribution à l’amélioration du quotidien des patients et des employés du réseau de la santé. Les quatre catégories correspondent aux quatre grandes valeurs de Desjardins : simple, humain, moderne et performant. »
Pour l’année 2019, plus de 75 projets ont été soumis aux membres du jury. « On en fait une revue annuelle, Santé. La Covid-19 change un peu la dynamique entourant la sélection et la présentation des SRS cette année, mais la remise aura tout de même lieu, bien qu’un peu plus tard. Cela fera en sorte d’amener de bonnes nouvelles dans le réseau. »
Qui est Martin Levac ?
Martin Levac possède plus de vingt années d’expérience au sein du Mouvement Desjardins. Il a assumé, à la Caisse du Réseau de la santé, le rôle de gestionnaire pendant plusieurs années avant d’être nommé, en octobre 2017, directeur général. Reconnu comme un leader positif alliant relations humaines et performance, il a participé à l’évolution et à la transformation de la Caisse, qui possède un actif de près d’un milliard de dollars, et dont le volume d’affaires est d’environ deux milliards.cteurs généraux des caisses de Québec-Métro, Lotbinière et Portneuf depuis 2016.