Édition #69

Mars 2025

La loyauté du personnel, ça se gagne !

François Pratte

Nicolas Sève et Dominic Migneault nous accueillent dans les locaux qu’ils occupent à Montréal CoWork, sur la rue Saint-Denis. Dominic nous dit spontanément en nous serrant la main : « On est toujours très contents de faire connaître l’endroit. » De plus en plus d’entreprises, comme l’a fait C3PH il y a deux ans, installent leurs bureaux dans des espaces de travail collaboratif. Elles y trouvent de nombreux avantages matériels (meubles, pièces ouvertes ou fermées, cuisine, lounge, etc.) en plus de quelques autres, dont celui-ci, lié à la dynamique de l’entrepreneuriat : la possibilité de se construire un réseau et d’être entouré de gens motivés. C’est tout à fait à l’image de la génération qui sera le sujet de notre rencontre : les millénariaux.

La rencontre avec les fondateurs de C3PH a lieu dans une petite salle fermée et insonorisée, mais aux cloisons vitrées. Elle durera près d’une heure et demie. Écouter deux entrepreneurs parler avec enthousiasme de leur idée devenue réalité est toujours inspirant. Surtout que nous avions une grande envie de les entendre sur un sujet qu’ils connaissent bien : comment attirer et retenir les employés chez Desjardins, dont ceux qu’on appelle les millénariaux ?1

Une rencontre déterminante

Dans le cadre de son travail d’enseignant à l’Institut de vente de HEC Montréal, Nicolas Sève a eu la chance de rencontrer, il y a deux ans, Marcelle Bizier, la directrice principale Développement des personnes au Mouvement Desjardins, l’un des partenaires de l’Institut créé en 2017.

Lors d’une réunion de travail avec elle et d’autres partenaires, la rétention du personnel a été l’un des sujets de discussion. L’entreprise C3PH en était alors à ses balbutiements. Il a alors beaucoup été question de la rémunération des employés. Nicolas a profité de l’occasion pour apporter un angle différent à la problématique de la loyauté des employés à l’égard de leur organisation. Il leur a dit : « La rémunération, oui en termes d’attraction, mais en termes de rétention, pas forcément. Les études ont prouvé que des choses comme la relation de confiance avec le gestionnaire, le sentiment d’appartenance au sein d’une équipe, le sens au travail ou la reconnaissance qu’on a de ses employés pouvaient avoir beaucoup plus d’impact sur le taux de fidélisation, et donc de minimiser le taux de roulement. »

Cette rencontre et deux autres qui l’ont suivie ont débouché sur la création d’une formation pilote en juin 2018. Pendant un peu plus d’un an, environ 250 gestionnaires ont reçu la formation de C3PR. Chaque fois, Nicolas et Dominic prenaient en note les commentaires des participants. L’appétit pour la formation était manifeste, ce qui les a poussés à en offrir une sur mesure pour les DG des caisses Desjardins.

Près de deux ans après leurs premiers pas chez Desjardins, les deux associés formateurs peuvent affirmer avec une certaine assurance qu’ils connaissent assez bien la culture du Mouvement. L’organisation aux 47 000 employés est complexe, nous le savons tous !

Photo fournie par C3PH Solutions innovantes inc.

Les millénariaux sont des ambassadeurs potentiels

Les gens de la génération Y sont au centre de la formation donnée par C3PH aux DG des caisses Desjardins. Les questions des participants tournent donc beaucoup autour de la définition même des millénariaux. Leur profil. Ces personnes sont-elles si différentes de celles des générations qui les ont précédées ? Comment faire pour les comprendre ? Comment les gestionnaires peuvent-ils s’adapter à ces jeunes afin de s’assurer qu’ils partagent les valeurs de Desjardins, y grandissent et en attirent d’autres dans l’organisation ?

Selon Dominic Migneault, développer sa marque employeur auprès d’eux — et avec eux — est essentiel : « Avec le taux de chômage très bas et la concurrence vraiment forte pour attirer les meilleurs talents, Desjardins a besoin de bons ambassadeurs et ambassadrices. On essaie donc de renverser la tendance. » Il ajoute : « Certes, il y a l’élément de fidéliser les employés, mais aussi, on dit aux DG que leurs employés peuvent les aider à non seulement amener d’autres personnes dans les caisses, mais également à mieux comprendre les clientèles de la génération Y. On essaie donc de changer la perception du millénarial comme étant une créature étrange qui ne reste pas longtemps chez Desjardins ou ailleurs. »

À ce sujet, Nicolas précise que dans l’entrée en matière lors de la formation, la question suivante est posée aux participants : « Les millénariaux sont réputés infidèles, mais le sont-ils vraiment ? » Selon lui, il y a une différence de perception entre celle que les millénariaux ont d’eux-mêmes et celle de professionnels en RH ou de gestionnaires qui ne sont pas forcément de la même génération.

« Peut-on être à la fois infidèle et loyal ? » Tous deux rient en entendant la question que Karine leur pose, puis Dominic lui répond : « Exactement. » Nicolas enchaîne : « Ça dépend de ce qu’on entend par infidèle. La définition d’une personne infidèle pour quelqu’un en ressources humaines, ça serait une personne que l’on forme, sur laquelle on mise, à qui on donne du temps pour qu’elle grandisse, mais qui nous quitte au bout d’un an ou deux. À l’inverse, le millénarial aura un discours un peu différent. Il dira : oui, on me forme, mais quand mon travail me passionne, je me donne à 100 pour cent du matin au soir ; et quand je suis emballé par un projet, je travaille même de la maison. Je me considère donc comme fidèle. Est-ce que ça veut dire que je vais rester marié à mon entreprise pendant cinq ou dix ans ? Non, absolument pas. »

Photo fournie par C3PH Solutions innovantes inc.

Les attentes des uns et des autres

En raison de cette différence de perception et de la mouvance apparente des gens de la génération Y, C3PH a intégré la gestion des attentes des employeurs dans leur formation. Dominic : « En tant que gestionnaire, on se sent souvent responsable du départ d’un employé. On se demande ce qu’on a fait — ou pas fait — pour qu’il décide de quitter l’organisation. Ce qu’on dit aux gestionnaires, c’est ceci : si vous gardez les attentes ou objectifs que vous aviez il y a dix ans pour votre employé, vous serez souvent déçus, car c’est rare aujourd’hui que des gens restent en poste aussi longtemps. » Il leur explique alors que la responsabilité n’est pas uniquement celle de l’employeur. Le contexte socioéconomique explique un grand nombre de choses en ce qui a trait aux comportements qu’on peut observer chez les millénariaux.

Pour un DG de caisse comme pour tout gestionnaire qui compte des millénariaux dans son équipe, il importe donc de revoir ses attentes à la baisse à leur égard en ce qui a trait à leur longévité au sein de l’organisation. En étant réaliste, il sera moins souvent déçu. Dans la même foulée, Dominic et Nicolas suggèrent aux employeurs d’adopter des objectifs à plus court terme. Les plans de carrière ou de parcours de plusieurs années à l’intérieur de l’organisation sont sans doute irréalistes en général, car tout change très vite.

Les millénariaux ont besoin de défis ; ils désirent une certaine latitude pour évoluer et souhaitent voir un sens à leur travail. En d’autres mots, ils veulent avoir l’impression de changer de maison sans nécessairement changer d’adresse. Il est donc possible qu’une personne évolue au sein de la même organisation pendant trois, cinq ou même dix ans, mais à condition qu’on lui fasse vivre une année à la fois. Comme le dit l’adage, on peut manger un hippopotame, mais par petites bouchées.

« Il y a aussi le réseau des caisses, dit Nicolas. Desjardins est tellement grand qu’on y trouve de multiples métiers. C’est quand même une opportunité énorme pour le Mouvement de pouvoir fidéliser les millénariaux. Dans les entreprises du type TPE ou PME, il y a un sentiment de plafond chez les millénariaux. Ce n’est pas le cas chez Desjardins. »

Le développement professionnel

Dominic a relevé une donnée importante dans les études qui portent sur les personnes de la génération Y : pour elles, l’aspect développement de carrière est très important. « Chez C3PR, nous dit-il, nous faisons la distinction entre deux choses : la progression de carrière — soit l’idée de gravir les échelons au sein d’une organisation, comme les postes N5, N6 ou N7 chez Desjardins, par exemple — et l’aspect développement professionnel. Nous disons aux gestionnaires que parfois, leur seul réflexe est de faire gravir un échelon à un employé en lui offrant un nouveau poste. En réalité, ce que désire l’employé, c’est se développer, trouver des manières d’être meilleur. Ultimement, bien sûr, il aura des promotions, mais en s’améliorant, en s’enrichissant de nouvelles compétences, il gagnera du temps. On sous-estime parfois l’importance du développement professionnel. »

Des pratiques innovantes

Les idées les plus simples et les moins coûteuses sont souvent les plus efficaces. Nicolas Sève et Dominic Migneault ont fait une veille à travers le monde sur des entreprises de diverses envergures, des TPE aux multinationales. Par la suite, ils ont rassemblé les pratiques de gestion qu’ils considéraient comme les plus innovantes en matière de fidélisation et de mobilisation des employés. La formation qu’ils donnent s’est construite en partie autour de ce concept.

Nicolas : « Au tout début de la formation, on annonce aux participants qu’il y aura des ateliers d’échanges de bonnes pratiques entre participants. De plus, on met à leur disposition un portefeuille d’une quinzaine ou d’une vingtaine de pratiques provenant d’autres entreprises. Lorsqu’on leur présente ça, la question qui revient le plus souvent est celle-ci : comment fait-on pour adapter tout ça chez Desjardins ? »

Si la question se pose, c’est parce que la culture du Mouvement est très forte. Mais en parcourant le réseau des caisses depuis près de deux ans, Nicolas et Dominic ont constaté que même s’il y a une culture du Tout-Desjardins, chaque caisse a aussi une culture qui lui est propre.

Selon eux, chaque pratique de gestion empruntée dans une autre entreprise peut être adaptée dans les caisses sans dénaturer la culture Desjardins. Un exemple ? Dominic nous en donne un : « Prenons le sentiment d’appartenance. Lorsqu’une personne se joint à l’équipe, on veut faire en sorte que la période d’intégration pendant laquelle elle se sent inconnue soit la plus courte possible. La façon typique qu’on observe dans les organisations est de remettre au nouvel employé une trousse de bienvenue qui comprend un document corporatif dans lequel on retrouve la mission, la vision et les valeurs, l’organigramme, le mot du président, etc. Parfois, on donne aussi un objet, comme une tasse, un t-shirt ou un crayon. Mais au Royaume-Uni, une startup a imaginé d’offrir une plante au nouvel employé qui se joint à l’organisation. Car à l’image de l’employé, la plante grandira dans l’organisation. Nous aimons la symbolique très forte qui y est associée. En plus, il est démontré que les espaces de travail où l’on trouve du vert aident à la productivité. »

Il nous présente ensuite un autre exemple de pratique qui prend en compte la culture propre à chaque organisation : « La fameuse trousse de bienvenue pourrait être changée. En ce qui concerne l’objet offert, par exemple, on pourrait offrir au nouvel employé ce qu’il souhaiterait recevoir. Comment le savoir ? En le consultant directement avant son arrivée, ou encore, en communiquant avec des gens qui le connaissent. Ainsi, au lieu de recevoir une huitième tasse, il pourra profiter d’un objet qui pourra lui servir et qu’il appréciera. L’autre élément de la trousse est le document. Il est tout à fait pertinent, mais trop souvent, il est froid. Pourquoi ne pas créer quelque chose de plus original, qui comprendrait, par exemple, une liste des établissements préférés des employés autour du bureau ? Ou encore, une présentation des membres de l’équipe qui jouent d’un instrument de musique, ou bien une carte du monde avec les lieux qui ont été visités. Une liste des événements organisés chez Desjardins pourrait être incluse. Peut-être même un album de photos. Bref, un projet de trousse de bienvenue très simple à réaliser, super mobilisant pour les employés qui veulent le mettre de l’avant. »

Du cœur et du talent

Tout au long de la rencontre, nous aurons droit à une foule d’anecdotes et d’exemples tirés des séminaires que Nicolas et Dominic ont donnés depuis les premiers pas de C3PH. La demande pour leur formation est très forte, et on comprend pourquoi.

Desjardins, comme toutes les grandes organisations, évolue dans un monde où les rapports humains se redéfinissent, et où l’épanouissement de la personne prend une place prépondérante. Les formateurs de C3PH ne voient pas là un conflit, mais une complémentarité entre l’être humain compétent — et qui veut être encore plus compétent demain qu’il l’est aujourd’hui — et l’organisation qui désire profiter de ses idées et de son savoir-faire.

Les employés de la génération Y ne prennent pas toute la place ; ils font la leur. Ils veulent grandir, et s’ils choisissent une caisse Desjardins, ils la feront grandir aussi avec eux, le temps qu’ils y seront. Et pourquoi pas pour longtemps s’ils s’y sentent chez eux ? « Tant que je serai chez Desjardins, vous dira le millénarial, vous saurez que c’est parce que je m’y sens bien. J’y mettrai tout mon cœur et tout mon talent. »

Pour en savoir plus :

C3PH : c3ph.com
Montréal CoWork : montrealcowork.com

Veuillez noter que la formation offerte par C3PH aux DG de caisses Desjardins est affichée sur le portail.

1Milléniaux ou millénariaux ? L’Office québécois de la langue française recommande depuis 2016 le terme « millénarial », plus conforme à « millénial » qui, selon lui, est un emprunt de l’anglais millenial et qui dérive de millénium, qui n’a pas en français le sens général de « période de mille ans ». On dit aussi des millénariaux qu’ils sont de la génération « Y », nés entre 1982 et 2005.

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